[CITERADIO] Interview – Aziz Ben Sadek – Radio Galère : une voix libre et militante en direct des quartiers de Marseille – 22 Mai 2025

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À l’occasion de la Fête de la radio, CITERADIO met à l’honneur celles et ceux qui font vivre les ondes locales. Direction Marseille, où nous avons rencontré Aziz Ben Sadek, co-président et animateur de Radio Galère, une radio emblématique née de la mouvance pirate et devenue l’un des derniers bastions de la radio associative libre et militante.

Aziz Ben Sadek anime sur les ondes de Radio Galère depuis 1998. Il est aujourd’hui l’un des trois co-présidents de la station, à la tête d’une direction collégiale mise en place après le décès de l’ancien président. Il nous retrace l’histoire de cette radio née avant 1981, à l’époque où seules les radios pirates existaient en dehors des grands réseaux nationaux. La libéralisation des ondes permet à Radio Galère de devenir légale. Derrière son nom, un acronyme : Groupement Associatif pour la Liberté d’Expression Radiophonique . Une définition qui résume parfaitement l’ADN de cette radio installée au cœur de la Belle de Mai.

Radio Galère se distingue comme la seule radio de type A restée associative à Marseille. Tandis que d’autres ont disparu ou sont passées sous gestion commerciale, elle continue à exister sans publicité, financée à 70 % par le Fonds de soutien à l’expression radiophonique (FSER) et à 30 % par des aides locales. Une exception dans un paysage médiatique de plus en plus normé.

La radio se définit avant tout comme une radio des quartiers. Elle sort régulièrement de ses murs grâce à son studio mobile pour faire entendre les voix des habitants de Marseille, en particulier dans les quartiers nord. Loin des stéréotypes, Radio Galère donne à entendre la richesse des initiatives sociales, culturelles et militantes de ces territoires. Des émissions comme “L’école de la Buerie”, en lien avec le 14ᵉ arrondissement, illustrent cet ancrage local. La station travaille aussi avec les collèges et les collectifs citoyens, en donnant la parole à ceux qui ne l’ont pas ailleurs.

Mais Radio Galère, c’est aussi une radio résolument tournée vers l’international. Une émission régulière dédiée aux Comores est animée depuis l’archipel, et a permis d’organiser la solidarité lors de la catastrophe à Mayotte. Une autre émission emblématique, “Une heure en Palestine”, rend compte chaque mercredi de la situation à Gaza et en Cisjordanie, avec des correspondants sur place et des relais des mobilisations marseillaises. D’autres émissions portent sur l’Afrique ou l’Amérique latine, dans un esprit de solidarité internationale constant. Le lien entre quartier et monde, c’est cette articulation permanente qui nourrit la ligne éditoriale de la station.

Sur le plan culturel, Radio Galère a vu passer sur ses ondes de nombreux groupes marseillais, comme IAM ou Quartier Nord, avant qu’ils ne deviennent célèbres. L’esprit maison est resté le même : une parole libre, un ton direct, et une liberté totale laissée aux animateurs. Une bande-annonce en interne résume bien l’ambiance : « Radio Galère, c’est ta France Culture… mais c’est pire ! »

Certaines émissions sont devenues incontournables, comme “Parloir Libre”, diffusée chaque samedi soir, qui permet aux proches de détenus de laisser des messages à l’antenne. Une initiative rare, écoutée y compris… par les surveillants de prison.

Face aux évolutions technologiques, la station a su s’adapter : elle est aujourd’hui présente sur le DAB+ (radio numérique terrestre) et héberge un multiplexe numérique qui diffuse quatre autres radios. Deux techniciens gèrent l’infrastructure. Les archives sonores de la radio sont consultables en ligne, mais leur organisation est ralentie par un manque de moyens humains : la radio ne compte plus que quatre salariés (dont deux à mi-temps), contre onze il y a une dizaine d’années. Cette précarité rend aussi difficile une présence numérique constante : les réseaux sociaux sont tenus par des bénévoles, sans véritable stratégie.

Malgré tout, la jeune génération commence à s’investir. Des projets d’émissions émergent régulièrement, notamment autour de la musique, du cinéma ou de la culture locale. Peu de projets militants cependant, mais la station mutualise ses contenus avec d’autres radios engagées, en France ou en Afrique, comme ce fut le cas avec des partenaires au Mali ou au Congo.

Aziz Ben Sadek partage une anecdote marquante. En 2010, alors que la répression s’intensifie en Tunisie, la radio libre tunisienne Radio Kalima perd son accès satellite. Radio Galère décide alors de diffuser ses émissions via son propre site. Lors d’un direct depuis Tunis, les auditeurs entendent la police faire irruption chez le correspondant, en entendant les coups et les insultes en temps réel. Le son fera le tour des radios françaises et sera même diffusé par France Culture. Quelques jours plus tard, alors que Ben Ali quitte la Tunisie, de jeunes Tunisiens annoncent en direct sur Radio Galère que l’ancien président se dirige vers la France. Ce message diffusé dans l’urgence aurait contribué à faire pression sur les autorités françaises, qui refuseront finalement l’atterrissage de Ben Ali à Paris.

Pour Aziz Ben Sadek, ce type d’engagement illustre le rôle essentiel des radios associatives. À l’occasion de la Fête de la radio, il appelle à relancer l’intérêt pour ces médias faits par des gens conscients, au service des autres. Il affirme que les réseaux sociaux doivent servir à soutenir la radio, pas à la remplacer.

Interview réalisée par Paul Louligi pour CITERADIO.

https://radiogalere.org/

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