[CITERADIO] Chronique littéraire – Bénédicte Flye Sainte Marie – “Le moins Qu’on Puisse Lire” – Été 2025

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Bénédicte Flye Sainte Marie, rédactrice en chef et directrice de la publication du site Le Moins Qu’on Puisse Lire, nous propose une nouvelle sélection de livres à découvrir.

 

 

Bonjour Bénédicte, vous êtes de retour sur CITERADIO pour passer en revue les choix du mois de votre média littéraire “Le Moins Qu’on Puisse Lire“, une sélection qui en ce mois de juillet a une certaine saveur estivale pour ne pas dire une saveur estivale certaine…

Oui, je démarre cet aperçu par un livre que j’ai beaucoup apprécié et qui est parfait pour les vacances, parce que c’est une saga qui navigue habilement entre les époques, qui est rédigée dans un style qui est à la fois fluide, simple et porté par un vrai souffle, à savoir “Le secret de Jeanne” de Sophie Astrabie, que vous avez reçue, il me semble, il y a quelques semaines sur les ondes de CITERADIO. Dans ce qui est son sixième roman, l’écrivaine toulousaine entremêle trois temporalités et trois trajectoires de vie, celles de Jeanne, de Nicole et d’Alex, à des moments de bascule de leur existence. Jeanne, en 1938, vient de quitter la commune rurale qu’elle habitait pour s’installer à Paris ; Nicole, qui est jeune adulte dans les années 70, vibre au rythme de ses premières amours et de celle de sa sœur Claudine, une reine du bal sur laquelle tous les garçons se retournent ; et enfin Alexandra, surnommée Alex, découvre au début du récit, en 2013, que son père vient de mourir alors qu’elle pensait l’avoir perdu dans un accident de voiture quand elle était toute petite.

 

Sans révéler quoi que ce soit, vous pouvez nous annoncer qu’on va découvrir au fil de l’intrigue des passerelles, des fils qui se tissent entre ces trois héroïnes, n’est-ce pas ?

Effectivement, c’est la volonté d’Alex de comprendre pourquoi sa mère lui a menti, de “regarder sous un autre angle” comme lui conseille son ami Joseph “tout ce qu’elle a toujours cru savoir” et découvrir l’énigme que cache un tableau qu’elle a retrouvé chez sa grand-mère qui va agir comme un effet-domino et venir faire voler en éclats tous les non-dits – et ils sont nombreux – qui étranglent sa famille. On aimait déjà la plume de Sophie Astrabie, on l’aime encore plus ici. C’est un peu du Astrabie en version augmentée, parce que les personnages sont pleins d’aspérités, de contradictions et de silences, qu’il y a une trame historique et sociétale et que “Le secret de Jeanne” en dit long sur la condition des femmes, d’hier et d’aujourd’hui. La bonne nouvelle, c’est que vous pouvez retrouver très bientôt une longue interview de Sophie Astrabie concernant cet ouvrage sur “Le Moins Qu’on Puisse Lire”, www.lmqpl.com. Je n’oublie pas de vous préciser que “Le secret de Jeanne” est paru aux éditions Flammarion.

 

Le deuxième ouvrage dont vous souhaitiez nous parler nous fait voyager lui aussi, mais cette fois entre la mer d’Iroise, la Meurthe-et Moselle et les Vosges…

Absolument, je continue ce tour d’horizon avec un roman dont le titre fleure bon les balades à la campagne et les souvenirs d’enfance, à savoir “Le goût des mûres sauvages“, de Gilles Laporte. C’est un livre dont la lecture a bouleversé notre chroniqueuse Odile Lefranc, qui a consacré un très long entretien à son auteur sur notre site “Le Moins Qu’on Puisse Lire”. Dans cette vaste fresque qui démarre dans les années 70 et qui se déploie sur quatre décennies, Gilles Laporte, dont on sait le talent pour évoquer les destins de femmes, raconte l’histoire de Loane, une jeune fille d’origine bretonne que les hasards de la vie et les mutations de son père militaire vont conduire jusqu’en Lorraine. Là, Loane, qui se prédestinait à devenir notaire et qui va un temps embrasser cette profession, va finalement, à la faveur de sa rencontre avec l’homme de sa vie, Frederick dit Fred, qui est à la tête d’une exploitation agricole, bifurquer en optant pour le travail à la ferme tout en enseignant la danse, qui est sa passion absolue.

Mais un terrible accident va ôter la vie à Fred et Loane va devoir endosser toutes les responsabilités à la fois, s’improviser maman solo pour leur fille Maëlle, reprendre les rênes du domaine et bientôt entrer en politique pour défendre les valeurs qui lui sont chères ; le tout en étant entourée d’amis fidèles qui admirent sa combativité, l’aident à ne pas flancher face aux épreuves qu’elle affronte et à la misogynie qu’elle rencontre trop souvent…

 

Ce que “Le Moins que l’on puisse lire” a apprécié, Odile Lefranc et vous qui avez lu également ce Goût des mûres sauvages, c’est justement qu’il dresse le portrait d’une femme toute en résilience mais aussi qu’il brosse un autre tableau de la Lorraine que celui que nous a proposé la littérature ces dernières années…

Effectivement, cette Lorraine, où se déroule ce roman et dont je suis originaire a été souvent été décrite, notamment dans les excellents livres de Nicolas Mathieu que l’on adore à Le Moins Qu’on Puisse Lire comme un creuset de violence, de désolation économique et sociale et de déshérence industrielle. Là, Gilles Laporte, qui réside toujours dans cette région, à Épinal, est dans un parfait contrepied par rapport à cette imagerie et nous immerge dans une Lorraine qui est au contraire belle, solaire, féconde, pleine de poésie, riche de paysages sublimes, avec un personnage principal qui est aussi flamboyant que peut l’être ce territoire. Je conclus avec Le Goût des mûres sauvages en vous disant qu’il est publié par Les Presses de la Cité.

 

Après nous avoir réchauffé le cœur grâce aux Goût des mûres sauvages, vous faites redescendre le mercure de quelques degrés avec le plus noir et plus glaçant “Bloody Mafia” de Sébastien Paci…

Oui, je tenais à mettre en exergue ce livre, parce que j’ai vraiment adhéré à son écriture rythmée et bien construite. Sébastien Paci, qui est lorrain également, nous offre un thriller très actuel, dans lequel Emmanuel Delaume, le directeur de l’Établissement Français du Sang, se retrouve aux prises avec des membres de mafia albanaise. Issu de cette pègre, le tueur sans foi ni loi, Mirjan Hohxa, une brute épaisse tout juste sortie de prison, a enlevé ses parents et leur a fait subir d’horribles mutilations pour obliger ce dernier à leur livrer des poches de sang d’un phénotype très rare, le hh. Une transfusion est en effet le seul moyen de sauver le fils de la maitresse d’un ministre albanais, un homme politique complètement corrompu.

Une course contre-la-montre va s’engager, d’un côté pour Emmanuel Delaume, de l’autre pour Nicolas Sévérac, le flic qui est chargé de l’enquête, afin d’éviter que le pire se produise et que les otages soient exécutés. C’est donc très noir, très nerveux et vous retrouvez cet haletant “Bloody Mafia” aux éditions Territoires Témoins. Et Sébastien Paci est lui aussi en interview sur “Le Moins Qu’on Puisse Lire” !

 

On termine enfin ce focus sur les choix de Le Moins Qu’on Puisse Lire par une séance de rattrapage, concernant “L’effondrement” d’Édouard Louis, qui est paru à l’automne 2024 mais que votre chroniqueuse, Anne-Sophie Campagne, tenait à évoquer…

Oui, c’était pour elle incontournable parce qu’Anne-Sophie Campagne, qui est une grande fan de l’œuvre en général d’Édouard Louis, a retrouvé dans cette autofiction, récompensée d’ailleurs par le Prix du roman Les Inrockuptibles 2024, tout ce qui fait la substantifique moelle de cet écrivain. Le trentenaire, qui est l’incarnation avec Annie Ernaux du transfuge de classe dans la littérature française, raconte de manière très clinique et cinglante le parcours de son frère ainé, un homme que ses échecs sentimentaux, ses naufrages professionnels, ses addictions et sa violence constante et débordante ont conduit vers une fin annoncée et qui en se noyant, a fait sombrer tout le cercle de ses proches avec lui, exceptés Édouard Louis qui a trouvé comme planche de salut l’écriture et sa mère. Pour Anne-Sophie Campagne, je la cite “cette auscultation de la fatalité généalogique” est une “claque” et ce coup de poing est à lire aux éditions du Seuil.

 

Je termine en vous souhaitant, Guillaume, en nous souhaitant à tous les deux des vacances bien méritées, même si elles seront ponctuées, pour vous comme pour moi, de séances de lecture intensives et je me réjouis de vous retrouver fin août pour balayer les coups de cœur de la rédaction, qui seront évidemment axés sur la rentrée littéraire.